“C’est un sujet où il a peu de frontières, car il considère que c’est son rôle de dire des choses qui dérangent”, confie l’un de ses conseillers à New York. Il rit souvent qu’il doit être un terroriste dans ces affaires.” Ses discours, parfois dignes des accusations de la militante écologiste suédoise Greta Thunberg, sont désormais pris en compte. “Les militants du climat sont parfois dépeints comme des radicaux dangereux, alors que les vrais radicaux dangereux sont des pays qui augmentent la production de combustibles fossiles.” Antonio Guterres, secrétaire général de l’ONU dans une vidéo publiée le 4 avril 2022 Au royaume des défenseurs du climat, ce changement de ton a fait mouche. “Il y a tellement de perte de conscience face à la gravité de la situation, qu’il faut que quelqu’un dise la vérité”, estime Laurence Tubiana, directrice de la Fondation européenne pour le climat et ancienne négociatrice en chef de la COP21. “Il le fait, avec l’autorité qu’il représente.” Enthousiasme similaire chez les militants du climat. “On le voit comme un allié”, résume Aurore Mathieu, responsable de la politique internationale au Climate Action Network. Mais ses discours et sa ligne politique n’ont pas toujours été en phase avec sa position actuelle sur la lutte contre le réchauffement climatique. Pour mieux observer la colline d’Antonio Guterres, il faut remonter aux années 1990, à un Portugal qu’on appelait alors “le petit dragon de l’Europe”. Le 28 octobre 1995, Antonio Guterres est nommé Premier ministre, à l’âge de 46 ans. Sa stratégie était de ramener au centre le parti socialiste, le PSD, qu’il dirige depuis 1992. “Il a laissé de côté toutes les références au marxisme, tout le discours marqué par la Révolution des Œillets” qui a mis fin à 50 ans de dictature, rapporte Yves Leonard , historien spécialiste du Portugal. L’objectif principal du pays est d’entrer dans la zone euro. Antonio Guterres, chef du Parti socialiste portugais, lors de la campagne électorale d’octobre 1995 à Lisbonne, au Portugal. (JOAO TRINIDAD / LOUSA / Agence France-Presse) “Le fait que la France ait mis son poids derrière l’entrée du Portugal dans l’euro nous a rapprochés”, se souvient Lionel Jospin. Le Premier ministre français de l’époque se décrivait comme un “homme de dialogue” lors des sommets européens. Un dirigeant “amical, à la recherche de compromis, facilitateur”. Les deux hommes se côtoient dans des réunions bilatérales ainsi qu’à l’Internationale socialiste. “Sa vision était de rechercher l’efficacité économique mais avec des objectifs sociaux et redistributifs importants”, se souvient Lionel Jospin. Socialiste et catholique pratiquant, Antonio Guterres affirme s’être engagé dans la vie publique pour lutter contre les inégalités. “Quand j’étais à la maison des jeunes de l’université catholique et au centre d’aide sociale, j’ai fait face à de telles injustices sociales qui m’ont donné envie de me consacrer à la politique”, raconte-t-il – dans une biographie qui lui est consacrée, Honest Broker (non traduit en Français). Sa foi “imprègne une grande partie de son attitude publique”, explique l’historien Yves Léonard. Mais Antonio Guterres reste avant tout celui “qui a permis au Portugal d’entrer dans l’euro, poursuit Yves Léonard. Il en est très fier”. Par conséquent, le Premier ministre portugais a concentré tous ses efforts sur la modernisation des infrastructures de son pays. Une logique “pas toujours en harmonie avec une politique environnementale respectée”, rappelle l’historienne. De nombreuses routes et autoroutes voient le jour et les chantiers se multiplient le long de la côte ibérique, dans “la logique du tout automobile”, note l’historien. “Je fais partie d’une génération qui a fait la guerre contre la nature”, reconnaissait Antonio Guterres en juin 2022 dans une interview à Euronews. Pensait-il dans ces années à la tête de sa patrie ? “En partie, je pense, il sait que c’est devenu une raison d’être pour lui plus tard dans sa carrière”, a déclaré l’un de ses conseillers à l’ONU. “La prise de conscience n’a pas eu l’intensité qu’elle a aujourd’hui, observe Lionel Jospin. En ce sens, on peut parler d’une prise de conscience trop tardive.” Au cours de son parcours de sensibilisation au climat, Antonio Guterres connaît de première main le sort des réfugiés et des personnes déplacées. En 2005, Kofi Annan, alors secrétaire général des Nations unies, le sélectionne pour le poste de haut-commissaire des Nations unies pour les réfugiés. 10 ans restants. Deux mandats au cours desquels il doit gérer l’une des pires crises migratoires au monde, liée aux conflits en Syrie et en Irak. Au cours de cette décennie, le nombre de personnes déplacées est passé de 38 millions à 60 millions en 2015, selon l’ONU. Antonio Guterres a aussi la chance de voir “les mouvements de population et les déracinements que pourraient entraîner les changements climatiques”, estime un ancien conseiller. En 2013, par exemple, les catastrophes climatiques ont déplacé 21,9 millions de personnes dans le monde, soit trois fois plus que les conflits. Dès son arrivée au Secrétariat général de l’ONU en janvier 2017, il place la lutte contre le réchauffement climatique au sommet de ses priorités. “Il a très vite vu le climat comme la matrice du multilatéralisme de demain”, explique un ancien conseiller. L’arrivée de Donald Trump à la présidence des États-Unis en janvier 2018 complique toutefois la tâche. Ce dernier promet de se retirer de l’accord de Paris, avec lequel tous les États se sont mis d’accord sur le principe de réduire les émissions de gaz à effet de serre. De nombreux observateurs soulignent l’implication personnelle d’Antonio Guterres dans le bon déroulement de la COP24 à Katowice (Pologne) en décembre 2018, “alors que l’élan de l’Accord de Paris aurait pu être perdu”, souligne le conseiller qui l’accompagnait. “Il a vraiment mis son poids sur la table, ce qui est rare”, confirme Laurence Tubiana, ancienne négociatrice en chef de la COP21. En septembre 2019, elle organise un grand sommet, obligeant les États à faire de nouvelles annonces. Ceux qui arrivent bredouilles sont refoulés, “je n’ose pas inviter tout le monde”, explique une source proche des négociations climatiques en France. “Une fois qu’il a un voyage, il essaie de lui donner une dimension climatique”, rapporte l’un de ses conseillers. “Très souvent, il nous dit qu’il pense beaucoup au monde qu’il laisse à ses petites filles, c’est une des grandes injustices qui le fâche.” conseiller d’Antonio Guterres chez franceinfo La crise climatique frappe encore plus fort aujourd’hui. “Je n’ai jamais vu de carnage climatique de cette ampleur, je n’ai pas de mots pour décrire ce que j’ai vu aujourd’hui”, a déclaré Antonio Guterres depuis Islamabad, au Pakistan, en septembre. Les inondations meurtrières y ont tué près de 1 500 personnes. Au milieu de ce chaos, il tente d’avertir : “Le Pakistan paie le prix de quelque chose créé par d’autres”. De ce passage au Pakistan, Antonio Guterres “est revenu extrêmement marqué”, selon l’un de ses conseillers. Voir des groupes entiers de personnes perdre soudainement tout, pas seulement leurs maisons mais leurs sources de revenus, le touche profondément.” Pour elle, Antonio Guterres a développé une sincère conviction personnelle sur le climat. Mais ses déclarations sont-elles suffisantes, aussi radicales qu’elles puissent paraître ? “Plus personne ne l’écoute”, a déclaré Franz Baumann, un ancien responsable allemand de l’ONU. “Il ne dit pas aux producteurs comme l’Arabie saoudite d’arrêter de pomper du pétrole, poursuit-il. Il reste très généraliste, c’est pourquoi je le qualifie de ‘prédicateur’”. D’autres observateurs déplorent la perte d’influence de l’ONU, devenue “presque une organisation humanitaire plus qu’une organisation politique”, selon Romuald Sciora, chercheur associé à l’Iris. “Antonio Guterres incarne l’immersion politique des Nations unies”, clame cet expert onusien, “alors il essaie de tisser, de renforcer cette image d’acteur très engagé dans la lutte contre le réchauffement climatique”. “Ce n’est pas un radical, c’est un social-démocrate, un ancien conseiller nuancé du secrétaire général de l’ONU. Mais il voit bien que les engagements des Etats ne sont toujours pas là, donc il fait face à leurs responsabilités.” En juin 2022, lors d’un entretien accordé à Euronews, Antonio Guterres soutenait encore fortement les nombreux rapports de l’ONU qui soulignent l’ampleur des efforts à consentir sur le pétrole, le charbon et le gaz naturel. Continuer à investir dans les combustibles fossiles est un “suicide” », lâche le secrétaire général de l’ONU, déterminé à poursuivre sa lutte contre le changement climatique.