Publié à 14h53
Louis-Samuel Perron La Presse
Le bras de fer politique entre le ministre de la Justice Simon Jolin-Barrette (également procureur général du Québec) et le grand patron de la Cour de justice du Québec se déroule tranquillement devant les tribunaux depuis quelques semaines maintenant. Québec demande un sursis à la décision du juge en chef, une mesure extraordinaire. Dans un arrêt daté du 3 novembre, mais rendu public lundi, le juge de la Cour suprême Pierre Nollet rejette cette demande. La proportion de jours pendant lesquels les juges siègent est au cœur de la controverse. Pendant longtemps, les juges de la chambre criminelle et criminelle instruisaient les affaires deux jours sur trois et délibéraient dans leur bureau le troisième jour. Cependant, la juge en chef de la Cour du Québec, Lucie Rondeau, a réorganisé l’horaire des juges cet automne. Résultat : les 160 juges correctionnels et correctionnels (sur 308) ne siègent plus qu’un jour sur deux. Cette réorganisation se traduit effectivement par une perte de 4 617 jours d’audience, note-t-on dans la décision. Le gouvernement du Québec craint donc que cette décision n’entraîne rapidement une explosion de l’arriéré judiciaire qui dépassera les limites supérieures fixées par la Cour suprême dans l’arrêt Jordan. Pour compenser cette perte, le juge en chef Rondeau demande l’ajout de 41 nouveaux juges. Cependant, le Québec refuse d’accéder à cette demande et juge impossible de créer autant de postes aussi rapidement. Le juge en chef Rondeau justifie ce nouvel échéancier par l’augmentation de la charge de travail des juges au fil des ans, notamment en raison des nombreuses demandes de la Charte, de l’augmentation des personnes non représentées et de la nécessité de rendre des jugements écrits plus rigoureusement motivés. Un rapport rédigé par un juge à la retraite en novembre 2021 met également en lumière l’explosion des contestations des techniques d’enquête policière. Les juges doivent alors analyser plusieurs heures de surveillance électronique pendant leur période de délibération. Rappelons que le salaire des juges de la Cour du Québec est passé de 254 518 $ à 310 000 $ le 1er juillet.
« Que fait le ministère à ce sujet ? »
Confrontée à l’impasse des pourparlers entre Québec et Lucie Rondeau, la ministre Jolin-Barrete a interjeté appel l’été dernier devant la Cour d’appel dans le cadre d’une requête visant à empêcher la mise en place du nouveau programme des juges. Au même moment, le Procureur général du Québec (PGQ) demandait à la Cour suprême d’imposer un sursis en attendant la décision de la Cour d’appel. Cependant, la barre est trop haute pour accorder un sursis. Le demandeur doit prouver qu’un “préjudice irréparable” serait causé sans l’intervention du tribunal. Le PGQ a ainsi cherché à démontrer que la décision du juge en chef augmenterait inévitablement les délais. Selon les projections du ministère de la Justice, seuls 31 775 dossiers seront clos si la suspension n’est pas accordée, soit près de la moitié du nombre normal. Toutefois, le juge de la Cour suprême Pierre Nollet n’a pas été convaincu par les arguments d’AGQ. Même avant la décision du juge en chef Rondeau, il y avait « des retards systémiques beaucoup plus importants », souligne-t-il. L’âge médian des cas actifs est passé de 217 jours en 2017-2018 à 329 jours projetés en 2021-2022, avant même le changement d’horaire. « Que fait le ministère à ce sujet ? Malgré toutes les mesures mises en place et exposées dans les données du PGQ, l’âge médian des causes actives explose. “Le simple fait que la Décision risque d’entraîner des délais supplémentaires ne saurait établir un préjudice irréparable autre que celui qui existe déjà sans la Décision”, explique le juge Nollet. PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE Le ministre de la Justice Simon Jolin-Barrette, à son retour en justice en septembre dernier. Par conséquent, PGQ n’a pas réussi à démontrer que les “droits fondamentaux” étaient “réellement menacés” par la décision du juge en chef, soutient le juge Nollet. Il n’y a pas non plus de constat de préjudice irréparable causé par cette décision, même si l’augmentation des délais judiciaires ne laisse “peu de doutes”, plaide-t-il. Suspendre le nouveau ratio serait également contraire à l’intérêt public, a ajouté le juge Nollet. Les affaires étant déjà fixées sous le nouveau calendrier, les rôles devront changer, ce qui conduira inévitablement à des demandes d’ajournement. “Le report d’une cause déjà déterminée sera certainement encore plus préjudiciable”, a déclaré le juge Nollet.